IL FAUT QUE JE VOUS PARLE D’UNE FONTAINE

C’est l’histoire et le destin d’une petite fille qui s’appelait Elvire.

Elvire naît, dans un petit village, avec le siècle – le sien – en 1900. L’espérance de vie y est – à peu près – constante depuis toujours. Statistiquement, on lui donne 47 ans à vivre.

Elle naît dans la ferme d’Abel, son papa, devant laquelle se trouve cette fontaine. Elle est la cadette. Sur la prochaine photo, c’est la plus petite des filles.

La ferme n’a pas d’électricité. Elle n’a pas d’eau courante non plus. Le matin, les enfants se lèvent à tour de rôle pour aller « chercher de l’eau à la fontaine ».

Rien d’extraordinaire à cela. C’est la coutume depuis toujours. Tout les habitants du petit village font comme ça aussi.

  • 1900 – Année de naissance d’Elvire
    • – espérance de vie d’Elvire: 47.48 ans
    • – pas d’électricité, pas d’eau courante

Abel n’a quitté son village qu’une seule et unique fois dans sa vie. Il a sorti le cheval et le char pour se rendre « à la ville » à 35 km de là. On ne se souvient plus de la raison, mais elle devait être d’importance.

Abel est paysan de montagne. Elvire a son avenir tout tracé. Elle sera « fille de ferme ».

Comme tout le monde. Depuis toujours.

MAIS C’EST SANS COMPTER AVEC LE DESTIN

Elvire, la troisième personne depuis la gauche

Ça ne va pas se passer comme prévu. Pas du tout.

L’Histoire de l’HUMANITÉ va vivre un bouleversement inédit. Le changement sera inattendu et bouleversant, comme jamais auparavant et comme jamais plus dans le futur.

Faisons un petit saut dans le temps, nous sommes en 1947. Elvire – statistiquement – a « épuisé » son espérance de vie. Mais fait unique dans les anales de l’humanité, l’espérance de vie (à la naissance) A AUGMENTÉ et atteint 66 ans.

C’est la raison pour laquelle, en 1947, les Suisses prévoient un âge de la retraite de 65 ans pour les deux sexes, soit (statistiquement) une moyenne de 15 mois de retraite lorsqu’ils approuvent, en votation populaire, la loi fédérale sur l’AVS.

  • 1947 – Année de votation de l’AVS
    • – espérance de vie : 66.23 ans
    • – Elvire a déjà vu arriver l’électricité et l’eau courante dans la ferme
    • – Elvire a vu passer les premières voitures, les premiers avions dans le ciel
Ici pour les détails https://ourworldindata.org/life-expectancy

Puis en 2000, Elvire fête ses 100 ans. Je me rappelle encore l’avoir vu danser ce jour-là avec le maire du village.

Elvire décède quelques années plus tard dans le home de son petit village.

  • 2003 – Année de décès d’Elvire à 103 ans
    • – espérance de vie : 80.64 ans
    • – on a déjà marché plusieurs fois sur la lune et Elvire a pu suivre ces exploits, à la télévision, depuis son canapé en choisissant ses chaînes avec une TÉLÉCOMMANDE

Jamais plus dans l’histoire de l’humanité le changement ne sera aussi important. Jamais plus il ne sera surtout aussi imprévu.

  • Aujourd’hui nous avons intégré la processus du changement.
  • Nous ne serons jamais plus pris par « surprise ». Nous sommes préparés à ce que notre futur soit totalement différent.
  • Quoi qu’il advienne, nous n’augmenterons plus jamais de 70 % notre espérance de vie en l’espace d’une seule vie.
  • Et dans nos pays développés, nous n’aurons plus jamais des Elvire qui vivront plus du double de leur espérance de vie

C’est ce que j’appelle la « génération sacrifiée ». Personne n’avait PRÉVENU Elvire de ce que serait sa vie. Personne.

Personne n’a pu la prévenir, ni lui expliquer le changement INCROYABLE qu’elle a dû vivre. Elle n’avait ni références, ni modèles et ni exemples historiques auxquels se référer.

Et pourtant, je l’ai toujours vue souriante. Elle prenait le monde comme il venait.

Je l’ai très bien connue. C’était hier. C’était ma famille. Je garde de très bons souvenirs de ma grand-tante Elvire, la sœur de mon grand-papa

Comment tante Elvire et toute sa génération, ont vécu ce changement unique et totalement imprévisible, me fascine.

Aujourd’hui ma famille n’habite plus dans la ferme qui a fait place à la route cantonale.

Le fils d’Abel, Marcel devenu instituteur et ayant « couvert les frontières » durant la guerre de 39-45, est décédé. Son petit fils Jean à fait des études à Saint-Gall en revenant le week-end pour « aider aux champs ». Il coule une paisible retraite en Suisse Romande

Son arrière petit fils, Yves, vit en Asie, prend 20 à 25 fois l’avion par an et rend visite à sa fille – parfaite trilingue, spécialiste en relations internationales – établie à New-York.

Aujourd’hui plus personne ne va chercher de l’eau à la fontaine et statistiquement l’AVS donne droit à 228 mois de retraite.

Si la génération de mes grands parents a subi ce bouleversement, je suis triste de voir que les générations qui suivent n’ont pas compris ce qui s’était passé.

L’AVS donne droit – statistiquement – à 15 FOIS PLUS – que ce qui avait été prévu au départ.

La fontaine et la ferme avant d’être détruite pour rectifier la route cantonale.

Nous n’avons pas assez compris combien le monde est définitivement EN MOUVEMENT.

Nous et nos politiciens devrions nous souvenir que c’était la génération de nos grands parents.

Nous sommes les petits-enfants gâtés d’une génération qui aurait honte de voir nos comportements face aux changements.

La résistance au(x) changement(s).

Lorsqu’en 1974 j’ai passé mon baccalauréat scientifique dans un gymnase neuchâtelois, il nous a été interdit d’utiliser les calculatrices de poche. Il fallait absolument que nous maîtrisions l’utilisation de la règle à calcul. De ça dépend(r)ait notre future – et brillante – carrière.

C’était heureusement la dernière année d’interdiction. Le directeur, M. André Tissot, qui était né en 1911 allait céder sa place en avril 1976.

Visiblement, les politiciens n’apprennent pas des erreurs passées, qui – hélas – se répètent. En effet, que dire de la Conseillère d’État vaudoise qui interdit les téléphones portables en 2018 dans toutes les écoles ?

Peut-on lui rappeler que la source des connaissances n’est plus l’encyclopédie TOUT L’UNIVERS, qui n’est, d’ailleurs, plus éditée (mais qu’elle peut encore en trouver quelques exemplaires d’occasion sur INTERNET pour moins de CHF 30.-).

Ou peut-être plus sérieusement, comme Alain Dehaze, CEO du groupe Adecco qui estime que « (…) le monde éducatif et les responsables politiques, doivent s’adapter » car aujourd’hui « à cause des nouvelles technologies et sans formation permanente, nous perdons le tiers de nos compétences tous les quatre ans ».

Au pire, si la Conseillère d’État vaudoise ne comprend toujours pas, on peut lui souhaiter de trouver le réconfort en se justifiant d’un très célèbre antécédent.

La résistance aux changements de nos responsables politiques actuels est indigne de la génération de tante Elvire.

Le 23e président des États-Unis n’a jamais touché un interrupteur de sa vie !

Benjamin Harrison fit installer l’électricité à la Maison Blanche par l’Edison General Electric Company en 1891.

Mais cette nouveauté l’effrayait tellement qu’il n’a jamais touché les interrupteurs de peur d’être électrocuté.

Face à la résistance aux changements de nos responsables politiques, une petite pensée d’admiration à tante Elvire et à sa génération.

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Je vous souhaite une belle et agréable journée

PS : Prochain sujet, toujours dans le changement, toujours personnel. La leçon d’économie reçue par des maisons en ruine.
A jeudi prochain.